Où est passé le » bon sens » dans le monde canin ?
Depuis une quinzaine d’années, et plus particulièrement depuis trois ou quatre ans, une notion basique tend à disparaître dans le monde de l’éducation canine. Le bon sens. Mettons nous d’accord sur une définition. Le bon sens est, pour le Petit Robert, la « «capacité de bien juger, sans passion, en présence de problèmes qui ne peuvent être résolus par des raisonnements scientiques». Il vient combler le vide entre l’ignorance et la connaissance bien assurée, il est la » saine et droite raison » pour le Littré.
Il s’avère que, depuis l’avènement des théories autoproclamées »
bienveillantes et positives » ( par opposition, artificiellement créée
par les plus éminents de leurs « penseurs », aux affreux et honnis »
traditionnels », catégorie dans laquelle basculent inéluctablement tous
ceux qui ne se revendiquent pas » tout positif ».), ce » bon sens » tend
à fondre comme un Mister Freeze oublié au fond du cabas. Le mystérieux
de la chose résidant, cela va de soi, dans le lien de cause à effet
reliant ces deux évènements : propagation d’un courant fait » d’amour »
et de » respect » du chien et disparition d’une qualité dont on
parierait qu’elle est profondément enracinée dans notre nature humaine
tant nos aïeux nous ont répété » m’enfin, regarde ! C’est du bon sens
! » …Et pourtant…Et pourtant, nous en arrivons aujourd’hui à une
situation où, dans le milieu du chien et sous couvert de toutes
nouvelles pseudo-études scientifiques », d’avancées « déterminantes »des »
neuro-sciences, de « révélations de « spécialistes » du chien,
« d’articles » tournant en boucle , les légions de l’Amour du Chien, en
viennent à vouloir détruire l’objet de leur passion : le chien
lui-même.
Que lisons-nous ces temps-ci sous le clavier des croisés de la « bienveillance » positive et respectueuse ? Dans le désordre :
– il ne faut pas demander un » assis » au chien, c’est une positon inconfortable pour lui.
– Il ne faut pas demander de « couché » au chien, s’il veut le faire il
le fera de lui-même. En le lui demandant, nous lui ferions émettre un
signal qu’il n’a pas choisi de nous envoyer…
– Il ne faut pas jouer à des jeux de lancer ( balle, frisbee) qui
exciteraient les chiens sans leur permettre de « retour au calme » et
stimuleraient leur instinct de prédation pour en faire de dangereux
individus incontrôlables au premier passage d’un joggeur. De plus ces
jeux seraient grandement préjudiciables à leur squelette.
– Il ne faut pas nourrir dans une gamelle, jeter les croquettes au sol
afin qu’il passe une heure à renifler la moquette serait beaucoup plus
proche de leur nature de chien…
– Il ne faut pas mettre de collier au chien, cet instrument est beaucoup trop coercitif, il écrase horriblement la trachée…
– Il ne faut pas demander au chien de nous regarder en lui apprenant
l’ordre « look », le focus sur le maître serait affreusement contre-nature
et abîmerait leurs cervicales.
–
Il faut laisser le chien vaquer à ses occupations comme il le souhaite
et sans interférer avec lui en promenade, c’est SON moment, au maître
de suivre sans rien demander.
– Il ne faut pas signifier un interdit au chien, ceci le plongerait dans un abîme d’incompréhension…
– Il ne faut pas demander à Mirza de descendre du canapé s’il y est
installé et manifeste en grognant qu’il n’a pas envie de partager.
Insister pour s’y assoir et l’en faire partir le rendrait directement
agressif la fois d’après. Mirza mordrait sans prévenir et il aurait
raison puisque son idiot d’humain n’a pas entendu son » inconfort »…
Si nous rassemblons en quelques lignes les injonctions distillées dans
differentes publications, nous percevons mieux ce qui est à l’oeuvre.
La déconstruction rapide et définitive de la relation chien-homme et
son remplacement par… »l’amour » d’un nouveau chien ( théorique)
incapable d’être éduqué, si fragile physiquement qu’il faudrait le
cantonner à la marche lente sans tourner la tête et si dévoré par ses
instincts, tapis sous sa fourrure, qu’il faudrait veiller à ne pas
réveiller le dragon dentu en le contrariant ou en…le faisant jouer !
Il ne faut pas, il ne faut pas, il ne faut pas….avoir de chien ! 😁
Faisons appel à ce qui nous reste de » bon sens », de raison
dépassionnée. Qu’est-ce que le chien ? Un prédateur opportuniste, issu
du loup. Un carnivore adaptable, charognard, éboueur, qui a su trouver
dans la niche écologique créée par l’apparition et le développement de
sapiens, une place de choix près de ce dernier. Chasseur talentueux, aux
sens affûtés, endurant, vigilant, plastique, puissant tracteur ou
animal de bât, comestible en cas de disette, as de la communication et
du micro-signal, éponge émotionnelle…voilà 30 000 ans que nos deux
espèces » compagnonnent », pour leur mutuel bénéfice. C’est cela qu’il
nous faut conserver en ligne de mire. Cette intimité de longue date.
Cela et notre raison d’humain responsables. Responsables de la prise en
charge des besoins de nos compagnons ( alimentaires, affectifs,
physiques…), responsables aussi de leur sécurité. Si nous marchons
sur ces deux jambes alors, les sornettes propagées par ces gens là
tomberont là d’où elles n’auraient jamais dû sortir : dans un puits.
– Demander un « assis », un » couché » ou tout autre ordre appris et connu
du chien n’est pas dangereux pour son squelette. Ce sont des positions
qu’il prend lui-même. Demander au chien de rester des heures dans ces
positions sera forcément très inconfortable. Quel maître sain d’esprit
réclame la tenue de ses positons pendant des heures ? Personne.
–
Les jeux de lancers, pratiqués depuis des centaines d’années (
aujourd’hui à la balle ou au frisbee, hier au bâton…) ne rendent pas
les chiens plus « prédateurs » ( ce sont des prédateurs) mais permettent
de canaliser l’instinct, de fixer un cadre à son expression, d’avoir une
récompense à haute valeur ajoutée dans l’apprentissage et de tisser la
relation avec le maître quand ces jeux sont pratiqués avec des règles
claires, après échauffement du chien et qu’ils sont limités dans un
temps » raisonnable ».
– nourrir son chien dans une gamelle n’est
pas un drame. Naturellement le chien n’est pas un » croquettivore » ni
une poule qui passe son temps à picorer. Si on veut vraiment tenir
compte de la « nature » du chien mieux vaudrait lui offrir des os crus
charnus à mastiquer et briser plutôt que des croquettes à becqueter dans
la pelouse ou le tapis…
– Mettre un collier à un chien ne
signifie pas le suspendre avec. L’idée selon laquelle le harnais serait
plus » respectueux » de son intégrité physique est une ineptie. Un
harnais est un outil fait pour tracter, permettre au chien de déployer
le plus de force possible. Avons-nous besoin de cela quand nous sommes
en bout de laisse ? Soit le chien marche sans tirer et dans ce cas, le
collier fait beaucoup mieux l’affaire, soit il tire…et le harnais est
inadapté. Je ne m’étendrait pas sur les « harnais anti-traction » lol,
pourvus d’une attache au poitrail qui fait vriller les épaules si Mirza
tire…nettement plus » respectueux » que le collier ! LOL
– Demander
à un chien de nous regarder pour capter son attention et établir la
connexion avec nous n’est pas dans la liste des mauvais traitements. Le
chien regarde spontanément l’humain. Quel problème y-a-t-il a mettre un
ordre sur un geste qu’il fait et peut faire ? Aucun.
– Interagir
avec son chien en promenade n’est pas un acte qui vise à détruire sa
nature de chien mais un acte qui permet de maintenir un lien dans le
groupe. Parler sans cesse, donner des ordres contradictoires, hurler,
s’énerver…. est inutile et contre-productif, certes, guider le chien
par contre relève de notre rôle de leader bienveillant.
– Fixer le
cadre du permis et de l’interdit ( posturalement, vocalement,
verbalement…) est-ce faire violence au chien animal social qui, dès
lors qu’il est en présence de ses congénères fixe lui-même des limites
par rapport à sa propre personne ( distance, mouvement, regard,
posture…) ? Evidemment non.
– Renvoyer à sa place un chien qui
s’accapare l’espace commun est-ce fabriquer un tueur en série ? Bien sûr
que non. Le grognement est un signal qui ne recouvre pas toujours la
même intention. Grogner parce qu’on est plein d’arthrose pour signifier
qu’on a peur d’avoir mal au contact est un signal qui doit être entendu.
Grogner pour s’approprier un lieu dans l’espace de vie du groupe ne
relève pas du tout de la même logique. Dans un cas, le chien craint la
souffrance, dans l’autre il impose son choix. Nuance…
Les propagateurs de toutes les « idées » que je viens de citer mélangent sciemment tout et n’importe quoi, maniant le plan » émotionnel » ( « le pauvre… »), le plan moral ( » c’est pas bien d’exiger, de commander, de demander à être regardé… ») et le plan « scientifique » (caution censée être de poids pour convaincre) pour mieux attirer dans leurs filets commerciaux, surfant sur la vague, justifiée et légitime, elle, du « bien-être animal ». Bien-être ne signifie pas laxisme, négation de la nature profonde de l’animal, naïveté coupable et aveuglement criminel. C’est pourtant vers cela que ces croisés de « l’Amour du chien » entraînent les nouveaux propriétaires de chien et leur compagnon.
Conservons donc du « bon sens » pour éviter les naufrages. 😉